Le licenciement pendant une phase de maladie est un sujet sensible et crucial tant pour les employeurs que les employés. Dans un arrêt récent du 26 mars 2024, le Tribunal fédéral consacre la notion d’incapacité limitée à la place de travail et affaiblit la
protection contre le licenciement en temps inopportun. Cet article discute de ce cas de figure et des conséquences pour les employés et employeurs.
Définition et importance de la protection contre le licenciement en temps inopportun
En droit suisse, la protection contre le licenciement en temps inopportun est un dispositif juridique visant à protéger les travailleurs ou travailleuses contre le licenciement pendant des périodes particulièrement sensibles ou vulnérables. Cette
protection est prévue par le Code des obligations, en particulier aux articles 336c et suivants. La protection contre le licenciement en temps inopportun concerne plusieurs situations spécifiques, soit l’incapacité de travail due à la maladie et l’accident, la grossesse et la maternité, ainsi que le service militaire ou civil obligatoire. Chacune des situations emporte une durée de protection spécifique. Aux termes de la loi, en cas de maladie ou accident, l’employé(e) au bénéfice d’un contrat de durée indéterminée ne peut pas être licencié(e) pendant un laps de temps déterminé en fonction de son ancienneté :
- Pendant la 1re année de service : 30 jours.
- De la 2e à la 5e année de service : 90 jours.
- À partir de la 6e année de service : 180 jours.
La durée de la protection en cas de grossesse et maternité, ainsi que le service militaire civil ou obligatoire obéit à d’autre règles.
Importance
La protection contre le licenciement pendant une période d’incapacité est cruciale. Elle permet au travailleur ou à la travailleuse de se concentrer sur sa santé pendant la période de protection tout en offrant une certaine stabilité financière. Elle garantit
ensuite un délai de congé complet pendant lequel il ou elle peut mobiliser son énergie à la recherche d’un nouvel emploi. On retient parfois aussi qu’un futur employeur ne sera pas enclin à engager un travailleur ou une travailleuse en incapacité en raison de l’incertitude qui prévaut quant à la date de la reprise du travail.
ACTUALITE JURIDIQUE : « L’incapacité limitée à la place de travail ou le relativisme de la protection contre le licenciement inopportun » – Juin 2024
Le licenciement prononcé pendant une période de protection est nul et ne déploie aucun effet. La période de congé est quant à elle suspendue en cas d’incapacité de travail qui survient après le licenciement. L’incapacité limitée à la place de travail : un développement relativement nouveau
Dans sa décision 1C_595/2023 du 26 mars 2024, le Tribunal fédéral avait à juger la question du licenciement d’un travailleur (de la fonction publique) qui était en arrêt maladie en raison de tensions sur son lieu de travail. Selon les principes développés cidessus, le licenciement aurait dû être considéré comme nul. Or, le Tribunal fédéral procède à une nouvelle analyse de la question et déclare que lorsque l’incapacité est limitée à la place de travail ou est due à la place de travail, la protection contre le licenciement ne trouve pas application.
Il s’agit de la deuxième fois que le Tribunal fédéral retient qu’une incapacité limitée à la place de travail ne protège pas le travailleur ou la travailleuse contre un licenciement (la première fois dans un arrêt de 2016). Dans son analyse, le Tribunal fédéral s’appuie notamment sur divers auteurs de doctrine qui retiennent que (i) lorsque l’incapacité de travail est intimement liée à la place de travail (en raison de conflits, de stress), mais que, par ailleurs, (ii) le travailleur ou la travailleuse n’a aucune autre atteinte dans sa santé, il ou elle n’a pas besoin d’être protégé(e) contre le licenciement en temps inopportun. Par exemple, un travailleur ou une travailleuse qui serait incapable de travailler, mais qui pourrait, sans autre, pratiquer du sport, rencontrer des amis ou voyager, pourrait ainsi se voir refuser la protection contre le licenciement en temps
inopportun. En effet, dans ces cas d’école, l’employé(e) serait parfaitement apte à travailler autre part.
Certains tribunaux cantonaux ont également été séduits par cette interprétation et ont appliqué cette théorie – de manière isolée – dès 2014 environ.
Appréciation
L’incapacité limitée à la place de travail a un impact non négligeable sur plusieurs questions qui relèvent du droit du travail. A côté de la nullité du licenciement, se pose la question du droit du travailleur ou de la travailleuse à changer de poste de travail (sous l’angle de l’obligation de l’employeur de protéger la santé de ses employés), le droit au versement du salaire pendant la période d’incapacité, le droit à des indemnités journalières découlant de l’assurance perte de gain ou le délicat problème d’un mobbing sur le lieu de travail. On rappelle que le mobbing conduit le plus souvent à une incapacité de travail, dont la première cause est à rechercher dans les rapports de travail et dont l’employé(e) en cause n’est le plus souvent pas responsable.
Du côté de l’employeur, il faudra veiller à bien examiner la situation avant de prononcer un licenciement pendant une incapacité de travail limitée au poste de travail, au vu des conséquences sur la durée des rapports de travail.
En appréciant la situation de manière globale, on peut imaginer ou espérer (c’est selon) que les cas d’application seront limités à des situations bien particulières, notamment lorsque les certificats médicaux ne seraient pas probants ou lorsque qu’il existe une contradiction claire entre le médecin traitant et le médecin-conseil de l’assurance perte
de gain.
En tout état de cause tant l’employeur que le travailleur ou la travailleuse auront intérêt à se poser les bonnes questions en cas de licenciement intervenu pendant ou immédiatement avant une incapacité de travail liée à des conflits de travail ou une situation de stress.
La présente actualité juridique est fournie à titre informatif uniquement et ne constitue pas un avis juridique ou financier donné par ses auteurs qui déclinent toute responsabilité. Nous vous conseillons volontiers en lien avec un cas déterminé.